Présentation historique de l’encadrement juridique et technique de la publication en ligne des textes normatifs et de la mise en œuvre de leur caractère officiel.
Extrait « L’echo des lois », Documentation française, 2012 : La publication en ligne d’un Journal officiel « authentique »
La publication en ligne de tout ou partie des textes normatifs et la reconnaissance du caractère officiel de cette publication, ne se sont pas réalisées, en France comme ailleurs, sans de longues réflexions, ni sans un encadrement très strict. La version informatique a-t-elle la même valeur « authentique » que la version papier jusqu’alors seule considérée comme authentique et faisant foi dans les contrats en justice ? Le principe d’égalité ne risque-t-il pas de souffrir de l’inégalité de fait de l’accès à internet ?
En France, l’immédiateté de la loi dans le Code civil
Deux cents ans après sa naissance, il a fallu, notamment, adapter le Code civil et modifier le régime de la preuve électronique. L’évolution majeure a consisté à donner valeur légale à une version électronique dématérialisée du Journal officiel par une ordonnance du 20 février 2004. Le rapport de présentation de cette ordonnance rappelle qu’il ne se substitue pas au service Légifrance, qui reste le site d’information juridique.
L’ordonnance de 2004 modifie l’article 1er du Code civil : « la publication des actes (…) est assurée, le même jour, dans des conditions de nature à garantir leur authenticité, sur papier et sous forme électronique. Le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous formeélectronique de manière permanente et gratuite ».
Cette ordonnance a nécessité deux décrets d’application.
Le premier décret établit la liste des textes qui ne peuvent pas faire l’objet de publication, ni sur la version authentifiée du Journal officiel ni sur Légifrance. Pour des raisons de droit à la protection de la vie privée, tout ce qui concerne le changement de nom, l’acquisition de la nationalité française, la naturalisation, la déchéance de la nationalité, la francisation de noms ou de prénoms et les annonces judiciaires et légales mentionnant les condamnations pénales, ne peut faire l’objet d’aucune publication.
Le second décret, a contrario, fait la liste des actes qui peuvent n’avoir qu’une existence numérique et qui n’ont pas à être publiés sur la version papier du Journal officiel. Il s’agit essentiellement des actes se rapportant à l’organisation des administrations.
Il est ici sous-entendu que les personnes concernées par ces actes sont les fonctionnaires des administrations, usagers d’internet par définition, et non le grand public qui a ou non accès à l’internet. Cette question de rupture d’égalité entre spécialistes et grand public, entre ceux qui ont accès à internet et ceux qui ne l‘ont pas, rejoint ainsi les préventions émises dans d’autres pays de l’UE.
Ainsi, en France, depuis 2004, la version électronique dématérialisée du Journal officiel a la même valeur probante que la version papier authentique. On ne parle pas ici de la version en ligne dite « Légifrance » du Journal officiel, qui date de 1998, mais de la version authentifiée du site web <www.journal-officiel.gouv.fr>. L’application de ce dispositif revient à la DILA, Direction de l’information légale et administrative, née en janvier 2010 de la fusion de la Direction des Journaux officiels et de la Direction de la Documentation française.
La France, cependant, n’a pas été aussi loin que certains de ses voisins qui, au cours de la première décennie du XXIe siècle, ont décidé d’abandonner l’édition papier de leur journal officiel. A tel point qu’une partie de la doctrine s’inquiète du mouvement vers le « tout électronique » pour la diffusion officielle des textes juridiques, et se pose la question « nul n’est-il censé ignorer internet ? ».
… et en Europe, quelle stratégie numérique ?
Une étude, menée par l’Office des publications officielles de l’Union européenne, a fait le point en 2009 sur toutes les méthodes de diffusion officielle de l’information légale dans les États membres de l’Union européenne et de l’AELE. Elle nous apprend que quinze États membres de l’Union européenne avaient, à cette date, fait le choix de conférer une valeur officielle à une version numérique de leur journal officiel. Parmi eux sept États (Belgique, Estonie, Allemagne, Luxembourg, Hongrie, Pays-Bas et Portugal) sont encore allés plus loin et n’ont plus de version officielle sur papier.
A contrario, on peut noter que la Cour de Justice de l’Union européenne n’a pas, délibérément, souhaité offrir cette possibilité aux publications officielles de l’Union elle-même, (arrêt du 11 décembre 2007),
« Dès lors, la seule version d’un règlement communautaire qui fait foi est, en l’état actuel du droit communautaire, celle qui est publiée au Journal officiel de l’Union européenne, de sorte qu’une version électronique antérieure à cette publication, même si elle se révèle par la suite conforme à la version publiée, ne peut être opposée aux particuliers. »
Mais une évolution est en cours, conformément à l’objectif fixé par la Stratégie Europe 2020 et l’initiative «Une stratégie numérique pour l’Europe», selon lesquelles il convient de garantir l’accès à l’internet haut débit pour tous en 2013. Le système proposé concilie les impératifs d’accessibilité et de simplicité. Au cours de ces dernières années en effet, on a pu observer une diminution du nombre d’abonnements au Journal officiel de l’Union européenne, alors que l’utilisation de l’internet dans l’Union européenne n’a cessé de croître – d’après Eurostat, 70 % des ménages en 2010 et 94 % des entreprises en 2009 avaient accès à l’internet. En outre, l’édition électronique du Journal officiel de l’Union européenne pourrait être consultée gratuitement et n’aurait rien à envier à l’édition imprimée, pour laquelle des coûts d’impression et d’expédition ont dû être récupérés auprès du public. Un garde-fou est toutefois prévu : pour les personnes handicapées qui ont accès à un format électronique spécifique et pour les personnes qui n’y ont pas accès pour toute autre raison, il sera toujours possible d’obtenir, «sur demande», une version papier (sans valeur juridique, c’est-à-dire à titre d’information uniquement) auprès de l’Office des publications de l’UE. Jugeant inadmissible le régime juridique différent appliqué à l’édition imprimée et aux versions électronique, beaucoup appellent une réforme qui améliorerait la sécurité juridique et réduirait les coûts d’accès pour les citoyens et les entreprises.
Un des lieux de réflexions les plus actifs en la matière est le groupe de travail Informatique juridique, mis en place par une résolution du Conseil de l’Union européenne datant du 26 novembre 1974. Ce groupe a changé de nom en 2010 pour celui de ELAW pour traiter de la « législation en ligne » et de l’accompagnement de l’Office des Publications de l’Union européenne dans son projet de portail juridique unique pour 2012. Une composante EJUSTICE (Justice en ligne) s’occupe pour sa part de la mise en place du portail ouvert en juillet 2010 <e-justice.europa.eu>, regroupant des centaines d’informations utiles pour les justiciables et les professionnels du droit, sur les 27 États membres et dans les 22 langues officielles de l’Union. Toute la documentation remise au groupe par les délégations nationales est référencée dans le registre public des documents du Conseil, puis accessible en texte intégral, ce qui en fait un espace inégalé de veille technologique et de recherche en droit comparé.
La comparaison, notamment entre les situations belge et française, est éclairante. Les choix de la Belgique en matière d’égal accès de tous les citoyens à la loi sont illustrés par la jurisprudence de la Cour d’Arbitrage. Celle-ci avait annulé les dispositions de la loi-programme du 31 décembre 2002 qui prévoyait seulement l’impression de trois exemplaires en papier du Moniteur belge, le « JO belge ». La Cour posa un ultimatum aux autorités pour qu’elle trouve une solution dans l’année. Dans un arrêt de 2004, elle déclare que « faute d’être accompagnée de mesures suffisantes qui garantissent un égal accès aux textes officiels, la mesure attaquée a des effets disproportionnés au détriment de certaines catégories de personnes. Elle n’est dès lors pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution ». Les autorités belges ne firent admettre la constitutionnalité de la diffusion uniquement sur Internet de leur Moniteur que par la mise à disposition d’un quatrième exemplaire papier aux archives royales et par la mise en œuvre de mesures d’accompagnement « afin d’assurer la diffusion et l’accès les plus larges possibles aux informations contenues dans le Moniteur belge ». Un nouvel article dispose que « tout citoyen peut obtenir à prix coûtant auprès des services du Moniteur belge, par le biais d’un service d’aide téléphonique gratuit, une copie des actes et documents publiés au Moniteur belge.»